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Journal du vice-amiral Frisius
extraits

Un homme plus que déterminé 

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Vestiges d'un bunker du QG de Frisius camouflé en villa sur la digue de Malo-les-Bains, à la fin de la guerre. Coll. Chazette.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Friedrich Frisius est capitaine de vaisseau de la Kriegsmarine, à Hambourg. 

Après la signature de l'Armistice, le 22 juin 1940, l'armée allemande occupe la moitié nord de la France et prend le contrôle des zones côtières. Frisius est alors affecté à Boulogne-sur-Mer, où il prend les fonctions de chef de l'administration du port, le 6 août 1940. Il devient commandant naval du Pas-de-Calais en janvier 1941, puis, en juillet 1942, il est promu commandant maritime de cette même région qui englobe le littoral depuis Zeebrugge jusqu'à la Somme. 

Après le débarquement en Normandie (6 juin 1944), sous la pression de l'armée canadienne, Frisius quitte la région boulonnaise pour Dunkerque où il arrive le 3 septembre. Il accepte de prendre le commandement de cette forteresse à partir du 15 septembre. Il administrera son "domaine" d'une main de fer, jusqu'au 9 mai 1945, date de sa reddition.

Tenir dans la poche 

Les extraits qui suivent ont été choisis dans le journal tenu par Frisius du 3 septembre 1944 au 9 mai 1945. 
Si le ton n'est pas aux confidences, quelques pans de la personnalité de ce fils de pasteur luthérien transparaissent, comme l'intransigeance, un certain détachement des causes humaines. 
Deux jours avant sa reddition, alors que les dés sont jetés, il ordonne encore 
"de faire fusiller les lâches, s'il le fallait".
Photo
29 septembre 1944

Nuit calme. A Calais et au Gris-Nez, il semble que ce soit la fin. Dommage pour les artilleurs. Bientôt, c’est à nous qu’on va s’en prendre.

Temps frais, couvert, le vent est tombé.
L’adversaire tire avec des shrapnells sur mon Quartier Général, il semble donc qu'il l'ait découvert.(…)


30 septembre l944

Ici, j'ai procédé entre temps à quelques regroupements (…) 
But de l’affaire : habituer au combat les gens du coeur de la forteresse ; diminuer leur nombre pour étaler les forces, donc prévenir les pertes dues aux bombardements ; renforcer les fronts. 
En même temps, j'ai donné ordre de dissoudre les unités mal notées et de les mélanger a de meilleures. 
Si j’avais pris le commandement plus tôt, tout se serait passé quinze jours auparavant et notre front aurait meilleure allure ! (…)

Le soir, on me remet un télégramme qui m'annonce que je suis promu vice-amiral. J'espère que ma femme et mes enfants vont l'apprendre ! 
Ça m'a fait très plaisir parce que j'avais écarté cette possibilité depuis longtemps. Ce serait trop beau que l’on arrive à ressortir de cette cuvette ! 
(…)
 20 octobre l944

Cette nuit, nous avons mené avec succès une opération contre une ferme située à l'Ouest. On a fait 24 prisonniers, compté 19  ennemis tués, détruit un char et un véhicule de reconnaissance. On n'a pas pu les ramener ici malheureusement. Nous avons eu quelques pertes et 6 blessés. Donc, ça marche, quand les soldats ont confiance en eux. Le chef de bataillon, le capitaine Türke, sait mener ses hommes. C'est ce que je dis toujours : la personnalité du chef fait tout ! (…)

L'après-midi, j'inspecte par un temps épouvantable les installations de défense de la ceinture extérieure de la forteresse. Il y a encore beaucoup à faire !

Les sentinelles ont de l'eau jusqu'aux chevilles et ne sont jamais vraiment au sec. Cela m'inquiète beaucoup. C'est pourquoi j'ai donné l'ordre d’installer de petits abris en bois.

26 octobre l944

Temps beau et brumeux, mais sans soleil. J'ai rendu visite au chef de la batterie de Malo Terminus, le lieutenant Haase, parce que j'avais entendu dire que lui aussi était déprimé. En général, les chefs de batterie de la Kriegsmarine se sentent un peu abandonnés. Heureusement, je l'ai trouvé gai et satisfait.

Le soir j'ai reçu une mauvaise nouvelle : 3 de nos avions de ravitaillement auraient été abattus en survolant les lignes ennemies. Espérons que ce n’est pas vrai l
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Frisius (au centre de la photo). Coll. Chazette
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Exercice d'entraînement avec port du masque à gaz. Archives Dunkerque
25 novembre I944

A ma grande joie, on m’a remis la première lettre de ma femme bien-aimée et, le soir, une deuxième même, quelque peu mouillée. Le lieu de parachutage est fortement détrempé : les bombes de ravitaillement et les sacs disparaissent parfois complètement dans la boue. Il nous faudra vraisemblablement préparer un autre endroit, bien qu'il n'en existe certainement pas de meilleur qui soit assez grand. L'enlèvement est lui aussi très difficile à présent car les routes sont en partie inondées à hauteur de plus d’un mètre.

C'est difficile pour moi d'exprimer ce que j'ai ressenti en tenant en main ces lettres qui avaient été écrites personnellement par mon épouse. Je les avais attendues si longtemps ! (…) Même en tenant compte du fait qu'on me cachait les petites difficultés, je compris en les lisant à quel point j'étais lié aux miens, avec quel amour ils pensaient à moi, combien ma femme bien-aimée était courageuse et combative. (…) C'est formidable pour nous d'avoir encore ce contact. Pour mes hommes aussi, c'est très important. Malheureusement, ils sont beaucoup à ne pas avoir encore reçu de courrier.
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A Ghyvelde. (secteur est de Dunkerque) Soldats allemands capturés par les Tchèques, le 10 novembre 1944. Coll. Janssen
3I décembre I944

“Temps changeant". Fort vent d'ouest, tournant vers la droite, tantôt des nuages, tantôt des éclaircies, tantôt de la grêle, tantôt de la pluie. (…)

J'espérais passer en fin d'après-midi une petite heure tranquille à écouter un beau concert. Malheureusement, la retransmission radio était mauvaise. J'ai allumé malgré tout les quelques bougies du sapin pour réfléchir à tout ce qui était enfoui au fond de mon cœur. Je pensai à Blanca et aux enfants, à toutes ces années où nous passions ensemble, dans le calme, la Saint-Sylvestre. Je pensai aussi aux années où je passais ce dernier jour dans la maison de mes parents. Je me disais aussi qu'un service religieux dans une église comble faisait partie de cette soirée, avec toutes les bougies de Noël allumées et la chorale de l'église qui chantait

    “L'année est révolue,
    Nous te remercions, Seigneur jésus,
    de nous avoir protégés de la misère et du danger
    pendant toutes ces années"

Je nous revoyais retourner à la maison par les rues enneigées au son des cloches en nous livrant à des considérations sur le cours du monde et sur notre propre existence. De telles heures de méditation sont agréables mais rares.

Le soir, tout l'état-major était réuni. Nous avons tout d'abord écouté un discours de Goebbels et, à minuit, un discours du Führer. A cause de la situation, nous étions tous très sérieux, même si chacun d'entre nous reste confiant. Le temps était épouvantable.

L'évacuation des 'bouches inutiles'

2 octobre 1944

Le soir, nous avons reçu par l’intermédiaire de la Croix-Rouge française une lettre de notre « assiégeant » donnant son accord pour l’évacuation des Français. Il me demande aussi d’accueillir son émissaire pour convenir des détails. En pratique, cela signifie qu’à partir de maintenant la guerre aérienne sera sans merci. Jusqu’à présent, j’ai toujours été contre les évacuations à cause de ce maudit risque de bombardement. 

Le général von Kluge ayant fait une offre dans ce sens, je ne pouvais refuser, car nous aurions alors déchaîné une énorme propagande contre nous. J’avais déjà écrit au maire que je ne pouvais pas organiser l’évacuation parce que ces cruels Anglais avaient laissé sans réponses mes propositions relatives à ce sujet, je devais donc laisser aux Anglais la responsabilité des conséquences. C’est toujours une erreur de négocier avec l’ennemi. Le général von Kluge et son état-major ne connaissaient pas ce précepte et c’est moi maintenant qui doit payer les pots cassés (…).
Photo
Document contenant les modalités de la reddition. Archives Dunkerque
8 mai 1945

J’ai reçu l’ordre de me rendre. J’ai convoqué les commandants pour leur en faire part et leur ai adressé une allocution d’un ton grave. (…) Schneider et beaucoup d’autres avaient les larmes aux yeux. Quant à moi, Dieu merci, je pus me contenir et remerciai le Seigneur de m’en avoir donné la force. De ce fait, je pus me présenter en maître aux parlementaires. Ils me réclamèrent une signature prouvant que j’étais prêt à capituler. (…)

9 mai 1945

Les singeries commencent. A 9 heures, je dois me rendre au quartier général des assiégeants. A la frontière de mon domaine, un officier anglais et un officier tchèque m’accueillent. Nous traversons le pays dans une horrible voiture à une allure de corbillard. Bien sûr, nous ne prêtons pas attention aux Français qui nous insultent. 
Dans le…quartier général.
Photo
Evacuation du 4 au 6 octobre 1944. Archives Dunkerque
4 octobre 1944

En route, je croisai le matin et l’après midi le flot ininterrompu des réfugiés. 
Un triste spectacle. 
A vrai dire, je remarquai aussi qu’ils avaient encore beaucoup de véhicules, des voitures aussi bien que des attelages, alors que soit disant tout avait été réquisitionné par ces méchants Allemands. Bon, pour l’instant, je n’ai pas besoin de ces véhicules mais ils nous auraient été bien utiles au début de notre « installation » dans la forteresse. (…)

Capituler !

6 mai 1945

Le temps s’améliore. Je suis extraordinairement déprimé à cause de la situation. Et c’est sans doute encore plus grave que ce que l’on craint. Je ne m'explique pas par exemple les différences entre les nouvelles allemandes et anglaises au sujet de la «capitulation» des armées au Danemark, dans le nord de l’Allemagne et en Hollande. Nous parlons de 
« trêve », l’adversaire de capitulation sans condition. (…)


7 mai 1945

A cause de la situation, je suis fortement déprimé. L’issue ne fait plus aucun doute. Je n’ai pas abandonné l’espoir que nous nous retirions avec les honneurs, même si mon intuition me dit que l’adversaire n’a pas la grandeur d’âme ni le recul qu’il faudrait pour cela. (…)
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Au centre, le général Alois Liska. : le vice-amiral Frisius a déjà quitté les lieux. Archives de Dunkerque.
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