4ans, 11 mois, 5 jours - entre guerre et paix
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Dunkerque
détruite

Jamais je n’aurais pu imaginer pareil spectacle (lettre)

(...) Ensuite nous partîmes voir notre plage, notre Dunkerque et notre maison. La plage de Dunkerque fut le premier grand tableau. C’est inénarrable. Jamais je n’aurais pu imaginer pareil spectacle : la plage est couverte de bateaux échoués, des bateaux de guerre avec 2 et 3 cheminées, des chasseurs, des gros cargos, des yachts, des remorqueurs, des chalutiers par dizaines. Il y a 200 ou 250 épaves. On ne peut faire 10 pas sans heurter quelque chose. Sur le sable les camions anglais et français ont roulé et beaucoup sont dans l’eau à marée haute, matériel de toute sorte, masque à gaz, autos, vélos ; enfin c’est un véritable champ de bataille, un grand et sinistre champ que la mer vient baigner comme pour en effacer toute la douleur.

Dans les terrains vagues, entre les villas de la digue, les petites croix s’alignent avec un nom parfois ; un bonnet de marin portant le nom du bataillon de côte ; des bouteilles sont plantées en terre, contenant le petit papier sur lequel l’identité du mort est inscrite. Derrière le Jouvel, il y en a plus de 50, ainsi. Là, au bout de la digue, il y a tant et tant de matériel, qu’il est impossible de tenir une bicyclette à la main. Je dus l’abandonner pour aller jusqu’au kiosque, car je voulais le voir de près.

Il est toujours là, bien qu’ayant un peu de gîte à l’avant, mais je pense fort que la guerre n’y est pour rien, dans cela. Je m’approchai donc : aucune balle, aucun obus, pas la moindre éraflure ne lui fut faite. La toiture est intacte et le plancher (regardé par en–dessous) est tout neuf. C’est extraordinaire que, parmi une telle bataille, ce kiosque reste stoïque et sans mauvais coup. Autour de lui se trouve des selles de chevaux, des baïonnettes, des cartouches et mille choses variées. Le brise-lames est jonché de 3-mâts et de cargos qui sont venus se jeter là. C’est un spectacle navrant.

Photo
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Ne comptez pas venir à Dunkerque, évidemment, puisque la ville par elle-même ressemble aux ruines de Carthage, de Pompéi, que l’on représente dans les images

(...) La ville n’est qu’une ruine – savez-vous l’impression que cela laisse après avoir parcouru quelques rues, c’est de traverser une ville après un tremblement de terre : quelques pans de murs menaçants, des monts formidables de briques blanchies par l’incendie. C’est très impressionnant que de pénétrer dans cette malheureuse ville où les passants sont très rares.

Jean Bart, Trystram JB [sic] et la statue de la République sont debout, comme la Victoire. La tour centrale de la Mairie est debout, mais le reste est par terre – plus de vitraux nulle part. Saint Martin n’a rien. Saint-Eloi est dans un état lamentable et la chapelle Sainte Philomène est démolie. La tour, notre belle et noble tour se dresse encore comme jadis, mais elle est vide, elle a brûlé intérieurement et quand on la regarde d’un certain côté, on voit le ciel au travers. On devra, disent les gens, l’abattre. Pauvre beffroi dunkerquois qui semble courbé sous la honte de porter le drapeau rouge avec la grande croix gammée noire. Plus de rue Alexandre III, de place Jean Bart. Dans les bassins tous les chalutiers sont coulés, on aperçoit que quelques mâts qui émergent, çà et là ; les péniches sont coulées dans les canaux, le bateau-feu couché dans le bassin [illisible] des remorqueurs, et tous nos petits bateaux que nous avions l’habitude de voir dans nos bassins. Le Leughenaer est debout mais l’intérieur semble avoir aussi beaucoup souffert. Quand les gens ont dit "ville rasée", "ville à plat", ils n’ont rien exagéré. C’est une ville qui ne se relèvera plus jamais et qui, même rebâtie, ne sera plus notre Dunkerque.
Extraits de correspondance : "Ma chère Maman, Ma chère Madeleine", signée "Lise et Renée", datée du samedi 29 juin 1940. 
Texte publié avec l'aimable autorisation de M. Janssen.

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